De la fixation originelle au sens de la vie
Ces choses qui nous arrivent, qui nous font douter, qui nous touchent, ou encore qui nous blessent. Ces choses que l’on nomme « épreuves » et qui jalonnent notre existence. Les guillemets sont de rigueur car, après tout, ce sont « des choses de la vie », des choses que chacun gère différemment. Et c’est le regard que nous portons sur ces choses, lorsqu’elles nous arrivent, qui les définissent.
Une « épreuve » n’a de sens que si elle nous touche – autrement ce ne serait qu’un événement quelconque –, en rapport étroit avec notre sensibilité, à notre rapport au monde que nous avons inconsciemment créé. Nous nous sommes construit un caractère dont la fonction est de préserver l’essentiel, à savoir cette fixation au plus profond de nous-mêmes qui représente le noyau de notre âme, notre « fragilité » autour de laquelle nous avons créé des remparts. Une fragilité inconsciente car, pour ne pas lui donner [pleine] vie à travers la conscientisation de son existence, nous avons tout fait pour l’ignorer. Elle est l’élément central de nos processus d’adaptation [au monde] enclenchés très tôt dans notre vie, peut-être déjà lors de notre petite enfance.
Notre stratégie est souvent d’une grande efficacité au point que nous ne pouvons pas même la nommer [cette fixation]. Les psys l’appelleront tantôt blessure, tantôt névrose, car il faut bien que des spécialistes feignent comprendre ce que le sujet ressent. Ceci étant, les faits observables – que l’on peut approcher à travers les sciences humaines – ne sont jamais que des observations. Le ressenti, quant à lui, est exclusivement du domaine de la subjectivité du sujet en rapport à l’expérience qu’il est en train de vivre, et qui peut avoir « une forme », un mot, un sens différent selon les individus.
Cette fixation n’est pas spécialement une blessure ou une névrose. D’ailleurs ces mots ne sont que des tentatives de traduire de ce qui est « apparent » en vue d’approcher des phénomènes, notamment ce qui est généré (en matière de comportements et d’attitudes). Dans la réalité, cette fixation ressemble à une thématique. A quelque chose de l’ordre de l’universel, quelque chose d’archétypal que les personnes peuplant la Terre doivent vivre car il s’agit du tronc commun de chaque être humain : trouver sa place dans ce monde, et – par-dessus tout – trouver le sens, ou du sens, ou faire que notre vie puisse en contenir. Notre fixation nous pousse à nous développer, nous pousse à faire – à un moment ou un autre dans notre vie – l’expérience de la souffrance dans des processus psychiques qu’on peut relier à de l’intégration. Intégration de nos polarités, intégration de nos personae (le moi adapté), et intégration des transformations psychiques liées aux expériences.
Ce chemin vers le Soi serait donc articulé autour d’un scénario de vie : une succession d’événements, d’épisodes, de chapitres, ou encore de tomes au cours de sa vie qui nous forge à y trouver du sens. C’est précisément l’absence de sens qui nous touche : le fait de ne pas toujours comprendre ce qui nous arrive et pourquoi ça nous arrive. Nous crions à l’injustice, nous sommes affligés, tristes, en colère, dans le doute, ou encore tétanisés. Fort heureusement tous ces états sont passagers, quand bien même on peut avoir recours à de l’aide psychologique. Ces états ne durent pas, du moins pas éternellement. C’est à ce niveau qu’intervient l’intégration. Ces processus psychiques qui se manifestent dans un souci de rétablir un équilibre interne et qui nous font grandir. C’est la raison pour laquelle nous sortons toujours transformés de nos expériences de vie, en particuliers après les événements difficiles.
Nous gagnons en maturité, en sagesse. Nous apprenons à approcher cet objet caché, cette thématique qui a généré la pulsion qui a fait que nous nous sommes construits en tant que personne. Une démarche innée qui a contribué à construire notre identité et finir par donner ce qu’il y a de meilleur en soi pour le monde ou pour les autres, tout en se préservant. Il s’agit d’une bienveillance qui fonctionne dans les deux sens : à l’égard du monde, et à l’égard de soi-même. Nous avons donc cette faculté de donner en dépit de notre fragilité, mais aussi de recevoir. Car les gens bienveillants autour de nous, avec qui nous pouvons créer du lien, ont cette intuition présumée de pouvoir nous comprendre et nous offrir leur amitié, leurs bons mots, ou encore leur amour.
Comme s’il y avait une histoire universelle qui relie les individus entre eux. Un peu comme ces séries télévisées mettant en scènes plusieurs histoires indépendantes autours de divers personnages, et dont le scénario a prévu de les relier entre elles. Ainsi, notre histoire personnelle est reliée à l’histoire du monde. Nous avons tous des réponses à chercher et qui vont contribuer au sens global. C’est ce qui rend la vie intéressante, et c’est précisément ce qui nous pousse à aller, bon gré mal gré, jusqu’au bout des choses.
C’est la raison pour laquelle de nouvelles personnes entrent dans notre vie (que d’autres en sortent aussi). C’est la raison pour laquelle un événement survenu quelque part, et n’ayant aucun lien apparent avec nous, peut avoir une influence sur notre vie. Ce sont ces liens de sens que Jung appelle synchronicité.
Nous appartenons à une histoire – l’histoire du monde – en même temps que nous construisons notre propre histoire. Celle-ci se construisant sous l’impulsion de tous nos processus inconscients, ces processus constructeurs – ou plutôt contributeurs – de sens qui nous incitent à aimer la vie, à aimer les autres, et à s’aimer soi-même, en dépit du fait que ce chemin est loin d’être un long fleuve tranquille.
D’ailleurs, le fait de ne pas aimer la vie, le fait de vivre un état de mal-être durable, de causer du tort aux autres (et à soi même) sont considérés comme des dysfonctionnement psychiques. Cela ne va pas « dans l’ordre des choses ». Ou bien nous trouvons du sens, ou bien nous souffrons. C’est aussi simple que cela.
Nous avons envie de croire en une finalité heureuse, et là se situe probablement toute la magie de la vie : le fait d’intégrer l’idée qu’il y a un sens qui mobilise toutes les énergies positives ; nous allons de l’avant, nous construisons, et apportons à ceux qui nous accompagnent des moments d’amour, de partage, de solidarité, et de bienveillance.
Notre fragilité est ce qui sublime ce monde, et en juste retour des choses ce monde saura nous offrir la paix, l’amour, et l’abondance. Car après la difficulté vient la facilité.
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